
Si la prostitution est une activité presque tabou dans notre société, elle est aussi peu connue de tous, notamment en matière de droit.
Dans le monde, cinq modèles existent aux yeux de la loi :
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Le modèle entièrement légal : la prostitution et les activités annexes comme les maisons closes sont légales et régulées.
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Le modèle à demi-légal : la prostitution est légale et régulée mais les maisons closes sont illégales.
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Le modèle réglementé : la prostitution est légale mais non-régulée. Le proxénétisme et les maisons closes sont illégaux.
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Le modèle entièrement illégal : la prostitution est illégale et les personnes prostituées sont sanctionnées.
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Le modèle à demi-illégal : la prostitution est illégale, les clients sont sanctionnés mais pas les personnes prostituées.
Difficile donc, de savoir quelle est la place de cette profession en France et comment elle est réglementée par le code pénal. Maître Alexandra Hawrylyszyn est avocate en droit pénal depuis près de 15 ans. Elle est spécialiste des dossiers portant sur la prostitution et le proxénétisme. Elle nous explique comment a évolué le droit face à la prostitution.
Propos recueillis par Pauline Bluteau

Maître Alexandra Hawrylyszyn, avocate
LES ESCORTS ET LA LOI
Est-ce que la prostitution est une activité légale ?
C'est une activité légale car elle n'est pas sanctionnée par un texte de loi. Aucun texte de loi interdit de se prostituer à partir du moment où la personne est majeure car il faut pouvoir disposer de son corps et donner son consentement à un acte sexuel. Cette activité est un travail où le corps devient une marchandise.
Mais il ne faut pas faire d'amalgame entre prostitution et proxénétisme. On ne peut pas faire du proxénétisme, inciter ses amis à le faire ou favoriser l'activité prostitutionnelle de quelqu'un comme prêter un appartement. Cette personne peut être poursuivie pour proxénétisme car elle a aidé à l'activité. Il ne faut pas non plus que quelqu'un profite des gains prostitutionnels car cela est considéré comme du proxénétisme. C'est d'ailleurs pour cela que les prostituées ont beaucoup de mal à avoir une vie personnelle et familiale car on peut accuser leur compagnon de proxénétisme si la prostituée paie une partie du loyer grâce à son activité.
Finalement, tout est fait pour que les prostituées ne puissent pas exercer leur activité... ?
C'est pour cela que je suis pour la légalisation du proxénétisme car tout serait plus transparent et clair. Pour l'instant c'est un système très hypocrite. Il faut faire une différence entre ce qui est bien moralement et le droit. Ce n'est pas une activité idéale mais certains font des choix, pour des raisons économiques ou personnelles, et personne ne doit juger ces choix. Pour « Monsieur et Madame Tout-Le-Monde », cela fait plus propre car cela se fait de plus en plus sur Internet mais que ce soit sur le minitel, dans les bars, dans la rue ou sur Internet cela ne change rien. Cette activité a toujours existé et elle existera toujours, c'est la nature humaine, on ne va pas se leurrer.
Mais aujourd'hui, avec Internet, tout est traçable. Il y a des brigades qui poursuivent les webmasters qui hébergent les sites des escortes et les proxénètes. Par exemple, j'ai eu le cas d'un proxénète suisse. Dans ce pays, le proxénétisme est légal. Il avait un site où il proposait des services d'escorts. Ces escorts se rendaient en France. La France l'a fait extradé car il ne faut pas que cela dérive sur le territoire français. La France n'est pas le pays le plus dur à l'égard de la prostitution mais c'est loin d'être le plus souple. Mais dans les pays où cela est prohibé comme à Dubaï cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas de prostituées, il y en a même encore plus qu'ailleurs.
Les lois des années 2000 montrent que la justice préfère axer ses lois sur la pénalisation des clients plutôt que de remettre en cause le proxénétisme. Comment l'expliquez-vous ?
C'est par rapport aux riverains qui étaient excédés par cela. Mais il faut penser aux familles ; on n'a pas envie de cela sous nos fenêtres. On a essayé de pousser l'activité de trottoir à l'extérieur des villes car les citoyens ne veulent pas voir ça. C'est moche la prostitution, c'est loin de notre idéal. On ne peut pas être porte-parole de cette activité, on passe pour un monstre même si ces lois sont pourtant très nocives.
Mais il y a d'autres moyens qui existent pour écarter la prostitution de la rue. À Amsterdam, il y a le « quartier rouge » dédié à la prostitution. Si on y passe, on sait ce qu'il s'y passe, c'est cloisonné. Dans d'autres pays, la prostitution, et tout ce qu'elle comprend, est entièrement légale. Cela vaut mieux pour tout le monde. Les maisons closes pourraient être rétablies comme dans d'autres pays en Europe où tout est prédéterminé : les prix sont affichés, la fille a X, la maison a Y et en contre-partie elle a une infrastructure, une sécurité, une hygiène, ... Et surtout, elle est libre d'aller et venir, si elle veut travailler plus ou si elle veut partir, elle part.
D'un autre côté, si on maintient la loi contre le proxénétisme, c'est aussi parce qu'il y a des personnes étrangères, qui sont dans un état de vulnérabilité et sont parfois contraintes et réduites à l'esclavage sexuel. C'est de la traite d'êtres humains mais je ne vois pas en quoi la légalisation de la prostitution favoriserait cela. Il faut attaquer le mal à la racine : il faut sanctionner les personnes qui abusent des autres. Quand ce n'est pas le choix d'une personne, elle doit pouvoir se plaindre de cette contrainte et de cette extorsion.
Mais s'il faut « attaquer le mal à la racine », pourquoi, aujourd'hui, ne cherche-t-on pas à punir les prostituées elles-mêmes ?
S'il n'y a plus de clients il n'y a plus de prostituées, c'est la loi de l'offre et la demande. On va faire peur aux clients car le client c'est « Monsieur Tout-Le-Monde ». Ces hommes sont parfois mariés et le fait d'être condamné à une contravention ou une amende de 3000 €, cela risque de ne pas passer inaperçu. Les lois jouent sur l'intimidation.
Qu'est-ce qui a changé avec la dernière loi de 2016 ?
La loi de 2016 a mis trois ans à être votée car il n'y avait pas de consensus entre les « pro » et les « contre ». Pour les « pro », il fallait diminuer la prostitution parce que c'est mal et parce que les êtres humains ne doivent pas vendre leur corps, c'est avilissant... Les « contre » insistaient sur la mise en danger et la précarité des prostituées qui vont devoir se cacher.
Chacun prend partie. Moi, je ne prends pas partie du côté de la morale. Je ne porte pas de jugement moral car si la personne en est arrivée là c'est qu'elle n'a sans nul doute aucune autre alternative et ce n'est pas à l’État d'en rajouter en lui créant des conditions d'exercice difficiles. Avec cette loi, le droit a entravé à l'activité des prostituées car on les contraint à la clandestinité et qui dit clandestinité dit danger.
En tout cas, j'attends de voir. Depuis 2016, personnellement, on ne m'a pas appelée pour défendre un client et pourtant c'est ma spécialité. Je n'en ai jamais entendu parlé. Par contre les dossiers de proxénétisme, j'en ai plein. Mais il ne me semble pas qu'il y ait moins de prostituées. Cette loi n'est pas efficace mais je crois qu'on ne peut rien faire de vraiment efficace contre la prostitution. Il faudrait juste encadrer et protéger les prostituées pour veiller à ce qu'elles soient consentantes et qu'elles obtiennent vraiment leur gain.